Il a peint le rideau de scène de l'Opéra Bastille et décoré en bleu Giotto le plafond de la salle des bronzes du Musée du Louvre.
Le Centre Pompidou à Paris lui consacre actuellement une remarquable rétrospective.
Cy Twombly, artiste américain inclassable, disparu en Juillet 2011, occupe désormais une place de tout premier plan dans l'art contemporain.
Moins de monde évidemment qu'à la rétrospective Magritte voisine, car plus difficilement "appréhendable" pour qui n'est pas préparé à une immersion totale et sensuelle dans une oeuvre de sensation et non d'illustration.
Une oeuvre organique, turbulente, solaire, à l'énergie animale, truffée de griffonnages, de crayonnages, de taches, d'éclaboussures, de coulures, de citations souvent indéchiffrables que le peintre, à l'immense culture classique, a noyé sous des couches et des sous-couches d'un blanc laiteux.
'Fifty Days at Iliam - Shield of Achilles (part I)' - 1978 - crayon à huile, mine de plomb
Cy - cet étrange prénom lui avait été donné par son père, fervent admirateur d'un joueur de base-ball surnommé 'Cyclone' - conversait en latin avec sa soeur à la table paternelle.
Ses toiles se réfèrent à l'Egypte ancienne, aux mythologies grecques, à la Rome antique.
Il cite Goethe, Homère, Mallarmé, Virgile, aussi bien qu'un mystique persan du 18ème siècle.
Natif du Sud, comme Jasper Johns, très proche ami de Rauschenberg, son oeuvre s'éloignera pourtant radicalement de celles des artistes de sa génération.
Amoureux fou de l'Italie où, à partir de 1957, il résidera en alternance avec les Etats-Unis, il y produira ses oeuvres les plus fulgurantes.
L'exposition, la première d'une telle ampleur, couvre la totalité de l'oeuvre de Cy Twombly, depuis les gris et les noirs des aventures marocaines du début, jusqu'aux explosions colorées des grands formats juste avant sa mort.
Sans titre (Lexington) - 1951 - peinture industrielle sur toile
'Blooming' - 2001-2008 - acrylique sur panneau de bois
La rétrospective est axée sur trois cycles majeurs :
. Nine Discourses on Commodus (1963), reliant la fin tragique de l'empereur romain Commode à l'assassinat du Président Kennedy.
. Fifty Days at Iliam (1978), immersion dans l'atrocité des guerres antiques.
. Coronation of Sesostris (2000), évoquant la course du char solaire menant tout pharaon vers l'au-delà.
'Coronation of Sesostris (part V)' - 2000 - acrylique, crayon à la cire, mine de plomb
Elle inclut également des sculptures et des photographies de l'artiste, se clôt avec l'ivresse finale des grandes circonvolutions éclatantes, et bien sûr l'immense toile aux pivoines rouge vif dégoulinantes, évocatrices de haïkus japonais.
'Blooming' - 2001-2008 - acrylique et crayon à la cire
J'avoue, pour ma part, avoir un faible pour une série de quatre grandes toiles, peintes de 1993 à 1995, rappelant la fuite inexorable du temps et le cycle perpétuel de mort et de résurrection, les Quatre Saisons, 'Quattro Stagioni' réalisées dans la résidence de l'artiste à Bassano in Teverina, au Nord de Rome.
Il existe deux versions de cette série, pratiquement identiques, l'une, celle de la Tate Gallery à Londres est celle présentée à Paris, l'autre est au MoMa à New-York.
'Quattro Stagioni' 1993-1995 - acrylique, huile, crayon de couleur, mine graphite
'Primavera', le Printemps, couleur sang, évoque la naissance, le commencement, l'éveil érotique. On y retrouve la barque solaire du Dieu Ra dont la course s'affirme en s'élevant dans la toile jusqu'à se fondre dans l'astre éclatant. On y voit également une étrange marque sombre, informe, qui perdurera à travers l'oeuvre jusqu'à prendre une dimension inquiétante dans le dernier tableau.
'Estate', c'est la lumière crue, aveuglante, de l'été, comme une tache rétinienne, qui noie les perceptions, dissout et coule toutes choses dans le blanc où se dilue, jaune sur blanc, la mémoire de l'amour.
'Autunno' est en fait le premier tableau de la série peint par l'artiste qui jouissait du spectacle des vendanges à Bassano in Teverina. Les couleurs sont roses, mauves, lie de vin, bronze, couleurs des feuilles pourrissantes, ultime explosion, bouquet final avant la disparition programmée qu'annonce la tache sombre devenue centrale..
'Inverno', l'hiver, c'est l'aboutissement, la toile sans doute la plus accomplie de cette série mélancolique. Les couleurs sont le jaune, le vert pin, le noir, le gris, le blanc mortel. Les coulures évoquent la neige, les coups de brosse le vent, les craquelures le gel. On ressent le froid, l'absence, le vide, et la tache sombre est là qui semble nous entraîner inexorablement hors du cadre.
Et partout, et toujours, des mots, des citations, des phrases, des fragments de poèmes.
La plupart du temps on les distingue à peine, comme s'ils étaient prisonniers d'une soudaine glaciation, enfouis au plus profond de l'épaisse couche picturale, messages engloutis dont on pressent vaguement qu'ils finiront par affleurer en des temps éloignés.
'Summer Madness' 1990 - acrylique, huile, crayon de couleur, mine de plomb
Roland Barthes, dans un texte majeur, préliminaire au premier catalogue raisonné de l'oeuvre de Cy Twombly publié en 1979 à l'initiative de son galeriste Yvon Lambert, avait cité Chateaubriand à propos des écritures de l'artiste :
"On déterre dans des îles de Norvège quelques urnes gravées de caractères indéchiffrables. A qui appartiennent ces cendres ? Les vents n'en savent rien."
A présent, les barques rouges de l'Egypte ancienne ont emporté les secrets d'écriture de celui que l'armée américaine avait affecté un temps au service de cryptographie, mais qui, selon ses propres dires, était un peu trop "vague" pour être un bon déchiffreur.
Le diaporama qui suit consiste en une succession de gros plans saisis au cours de ma visite de l'exposition.
Une descente en apnée au coeur des oeuvres, qui dévoile un univers torturé, abyssal, évocateur parfois de calligraphie orientale et parfois de profondeurs marines ou d'intimités organiques, chirurgicales.
On y perçoit les coups de pinceau rageurs, la densité du trait, les éclaboussures, les griffonnages, les explosions de couleurs, les coulures (la toile était quelquefois peinte à plat, puis redressée pour laisser les couleurs s'écouler à leur gré).
On y ressent surtout le corps-à-corps violent avec le support d'un artiste qui allait jusqu'à écraser le tube sur la toile ou à étaler la couleur avec la paume de la main.
Une intrusion dans l'oeuvre de celui qui côtoyait l'Olympe, quelque part entre les fresques pompeïennes et les 'graffiti' de Jean Michel Basquiat ou de Keith Haring, et qui restera l'un des plus grands maîtres de notre temps.
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