Il faut bien le reconnaître, un radiateur, surtout s'il n'est plus dans sa prime jeunesse, n'est pas particulièrement esthétique. Hantise des décorateurs d'intérieur, on cherche le plus souvent à le dissimuler honteusement plutôt qu'à le mettre en valeur. Ceux de la Tour 13, vouée à la démolition dans le 13ème Arrondissement de Paris, n'échappaient pas à la règle et la perspective d'une fin prochaine les rendait infiniment moroses. C'est alors que, sans crier gare, les stars du Street Art international investirent un beau jour la Tour pour la transformer d'un coup de bombe magique en Temple éphémère de l'Art Urbain.
Les radiateurs se trouvèrent soudainement propulsés du rang de figurants anonymes à celui d'acteurs à part entière d'un film dont le sujet différait à chaque étage et dans chaque pièce.
Ils eurent l'insigne honneur de donner la réplique aux vedettes.
On les habilla de brillantes couleurs.
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On revêtit l'un d'eux d'un costume de lumière.
Un autre fut absorbé dans un décor inquiètant.
Certains se virent attribuer un rôle dans des drames intimistes.
D'autres connurent l'angoisse de polars haletants.
D'autres encore jouèrent les second rôles de films d'épouvante.
Les plus audacieux s'emparèret du premier plan des séquences d'action.
Les chats, ces éternels frileux, vedettes des films animaliers, vinrent leur tenir compagnie entre deux tournages,
Les radiateurs avaient le sentiment d'être enfin reconnus. Ils connaissaient leur heure de gloire.
Eux, les mal-aimés, plus à l'aise dans les recoins abrités des regards, se retrouvaient au centre de scènes d'apocalypse, mitraillés par les flashs de milliers de visiteurs.
Certains en perdirent la raison et en vinrent à commettre l'irréparable.
On retrouva même à la cave un radiateur hébété, figé devant l'horreur de son crime.
Je ne sais pas s'il existe un au-delà pour les radiateurs, mais quand sonnera l'heure de la démolition finale et qu'ils finiront à la casse, il conviendra de beaucoup pardonner à ces fidèles compagnons de nos hivers douillets car ils n'étaient pas faits pour cette soudaine mise en lumière.
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Je préfère imaginer, qu'avec la discrétion qui leur est coutûmière, ils auront quitté sur la pointe des pieds ces fresques étonnantes qui illuminèrent, le temps d'un automne, les murs tristounets d'une tour ordinaire.
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