Je marche éternellement sur ces rivages, entre le sable et l'écume. Le flux de la
marée effacera l'empreinte de mes pas, et le vent emportera l'écume. Mais la mer et le rivage demeureront éternellement.
En classe et en réunion, au supermarché et à l'épicerie du coin.
Et quand vous prenez le bus,
Conservez bijoux, encens, pièces de cuivre,
Et les lettres qui s'enroulent sur elles-mêmes,
comme celle-ci dans ce panier,
Et lorsque les autres vous demandent d'où ça vient
Vous leur dites, ça vient des iles Marshall.
Montrez-leur où ça se trouve sur la carte.
Dites-leur que nous sommes un peuple fier.
Dorés, brun foncé, comme les côtes saillantes d'une souche d'arbre.
Dites-leur que nous sommes les descendants
des plus grands navigateurs du monde.
Dites-leur que nos iles sont tombées
d'un panier porté par un géant.
Dites-leur que nous sommes les coques évidées
de pirogues rapides comme le vent fendant la mer pacifique.
Nous sommes des copeaux de bois,
Des feuilles de pandanus en train de sécher.
Des bwiros (1) collants lors des kemems (2).
(1) bwiro : plat traditionnel des iles Marshall à base du fruit de l'arbre à pain fermenté.
(2) kemem : fête célébrée à l'occasion du premier anniversaire d'un enfant (héritage d'une époque où le taux de mortalité infantile était très important).
Dites-leur que nous sommes de douces harmonies
de mères, tantes et sœurs.
Des chansons tard dans la nuit.
Dites-leur que nous sommes des prières murmurées.
Le souffle de Dieu.
Une couronne de fleurs fuchsia encerclant les cheveux blancs
comme l'écume de tante Mary.
Dites-leur que nous sommes des gobelets en polystyrène
pleins de kool-aid (3) rouge qui attendent patiemment l'ilomij. (4)
(3) Kool Aid : boisson aromatisée en poudre, typiquement américaine.
(4) ilomij : cérémonie traditionnelle accompagnant les funérailles
Dites-leur que nous sommes des couchers de soleil
aux couleurs de papayes dorées qui saignent.
Nous sommes des cieux dégagés,
majestueux dans leur paysage grandiose.
Nous somme l'océan,
effrayant et souverain par sa puissance.
Dites-leur que nous sommes des tongs en caoutchouc poussiéreuses
déposées sur des seuils en béton.
Nous sommes les coutures déchirées et les poignées cassées
des portières de taxis.
Nous sommes les mains transpirantes qui serrent
une autre main transpirante dans la chaleur.
Dites-leur que nous sommes des jours et des nuits
plus chaudes que n'importe quoi que vous puissiez imaginer.
Dites-leur que nous sommes des filles avec des tresses
qui font la roue sous la pluie.
Nous sommes des éclats de bouteilles de bière cassées
enfouis sous le fin sable blanc.
Nous sommes des enfants qui s'élancent comme des élastiques
à travers une route encombrée de voitures haletantes.
Dites-leur que nous n'avons qu'une seule route.
Et après tout ça, parlez-leur de l'eau.
Comme nous l'avons vu monter inonder nos cimetières,
jaillir au-dessus des digues et écraser nos maisons.
Dites-leur ce que ça fait de voir
l'océan entier au niveau de la terre.
Dites-leur que nous avons peur
Et dites-leur que nous ne savons rien
de la politique et de la science.
Mais dites-leur qu'on voit ce qui est à nos portes.
Dites-leur que certains d'entre nous sont de vieux pêcheurs
qui croient que Dieu nous a fait une promesse.
Que certains d'entre nous sont plus sceptiques quant à Dieu.
Mais surtout dites-leur que nous ne voulons pas partir.
Nous n'avons jamais voulu partir.
Et nous ne sommes rien sans nos iles."
oooOOOooo
Kathy Jetñil-Kijiner est une activiste du mouvement pour la lutte contre les effets du dérèglement climatique. Désignée 'Hero of the Year' par le magazine 'Vogue', elle s'était adressée en 2014, à l'âge de 26 ans, aux chefs d'état réunis lors de la session d'ouverture à New York du Sommet des Nations Unies pour le Climat. En 2015, elle était l'invitée de la COP 21 à Paris. Titulaire d'une maîtrise en études des iles du Pacifique, elle enseigne cette spécialité au Collège de Majuro, la capitale des Marshall.
Les iles Marshall ont obtenu leur indépendance en 1990 après avoir été placées sous tutelle des Etats-Unis après la fin de la Seconde Guerre Mondiale où elles avaient été le théâtre de combats particulièrement féroces Des centaines d'épaves achèvent toujours de rouiller sur les merveilleux fonds coralliens de l'archipel. C'est sur le territoire des iles Marshall que, dans les années 1950/1960, furent effectués les essais nucléaires US (atoll de Bikini, notamment). On a pu estimer que la totalité de ces essais a représenté l'équivalent de 8,000 bombes d'Hiroshima.
La montée des eaux du Pacifique a déjà entraîné des déplacements massifs de population sur plusieurs atolls de l'archipel.
Les photos dans cet article montrant les conséquences de la montée des eaux sont extraites d'articles parus dans différents médias US, New York Times et Washington Post notamment.
La photo montrant une jeune femme avec son enfant ramassant un tesson de bouteille de bière en bord de plage illustrait un article paru en 2015 sur le site web d'actualité Marshable et signé Kim Wall (disparue depuis), Coleen Jose et Jan Hendrick Henzel.. Cette jeune femme est une réfugiée climatique partageant à Majuro un lotissement avec 14 autres réfugiés dans des conditions précaires. Son souhait, mêlé de la crainte de ne pouvoir s'adapter à une vie non insulaire, était de rejoindre son père, émigré aux Etats-Unis en Arkansas. En 2017, elle était toujours à Majuro, n'ayant pu réunir l'argent nécessaire pour acheter le billet d'avion.
Une version 'animée' d'un petit conte publié dans ce blog il y a plusieurs années en souvenir d'un inoubliable séjour dans un lieu où les oiseaux sont plus nombreux que les hommes.
Peut-être que, portée par le souffle des alizés, cette histoire vous transportera un instant, loin, très loin, des grisailles ambiantes.
La Nature en Nouvelle-Zélande est si belle qu'elle en est devenue narcissique car, pour mieux contempler son image elle a créé des lacs-miroirs.
Le plus connu d'entre eux est probablement le lac Matheson.
Il se situe à proximité des grands glaciers, sur la côte ouest de l'île du Sud, celle que l'on désigne également sous le nom d'île de Jade.
Lorsque le temps est clair, ce qui est loin d'être souvent le cas dans cette région où il tombe annuellement des quantités invraisemblables de pluie, les montagnes environnantes effectuent un saisissant copié-collé inversé dans l'eau parfaitement immobile du lac.
Par une belle journée du printemps ou de l'été austral, à l'aube ou au crépuscule car ce sont les moments où seul le sillage d'un canard solitaire peut venir perturber la surface figée du miroir, on peut assister à un défilé de photographes munis de leur impressionnant matériel, venus fixer sur la pellicule la double vision des montagnes si parfaitement reflétées par l'eau qu'elles laissent planer un doute sur le sens dans lequel il convient de regarder ensuite la photo.
Si vous consultez le web à propos de ce lac-miroir, vous y trouverez sans doute des images de ce type :
(photo Guillaume le Nistour)
Je n'ai pas eu la chance de voir dupliquer tête bêche, telles les figures d'un jeu de cartes, les sommets enneigés illuminés par la lumière naissante des premières heures du jour ou goûtant, comme à regret, la douceur dorée d'un soleil déclinant.
Le ciel était bas et gris ce matin-là. Il bruinait insidieusement et les nuages avaient inexorablement effacé toute trace de montagne, réduisant l'horizon à ce qu'il aurait pu être avant que les grands bouleversements géologiques ne viennent perturber la surface de la terre.
Passés les premiers instants de déception, cheminant sur le petit sentier qui serpente autour du lac, il m'a bien vite été donné de constater que ce lieu avait décidément quelque chose de magique.
Bordé d'arbres vénérables résonnant du chant d'oiseaux inconnus dans nos contrées, parsemé de bosquets de fougères arborescentes et de cette drôle de plante au nom singulier de 'plumes du Prince de Galles', le chemin offre quantités d'échappées sur le monde inversé de l'autre rive, mettant singulièrement à l'épreuve notre conception du réel
Cette impression de dérèglement des sens, de perte des repères, est encore accentuée si l'on approche de la rive.
Un monde étrange, double, où l'image inversée semble plus réelle, plus profonde et plus nette que celle dont elle est le reflet.
Il parait que des anguilles géantes, parfois centenaires, habitent le lac et qu'il est possible de les apercevoir qui vous observent fixement de l'autre côté du miroir. Comment s'étonner dans ces conditions que les Maoris considèrent ces eaux comme sacrées.
Quand, le soir venu, j'ai repris la route, le beau temps était soudainement revenu comme il arrive souvent sous ces latitudes. Une douce lumière baignait la campagne alentour et les derniers rayons du soleil illuminaient le mont Tasman, très haut au-dessus du lac et de ses sortilèges.
Une dernière chose. On raconte qu'à l'automne, on peut trouver aux abords du lac un champignon dont la couleur est d'un bleu intense. Une espèce qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde.
Un endroit , comme je vous le disais, décidément magique !
oooOOOooo
(la1ère photo mise à part, toutes les photos sont de l'auteur)
:
Pourquoi ce blog? Pour ne pas oublier tous ces rivages, proches ou lointains, que j'ai connus, pour faire partager ces regards, ces visions, ces impressions fugaces, ces moments suspendus et qui ne se reproduiront plus, pour le plaisir de montrer des images et d'inventer des histoires, pour rêver tout simplement..