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27 juin 2014 5 27 /06 /juin /2014 22:17

 

Les regards vides des fenêtres-miroirs reflètent un paysage de collines chauves sous un ciel sans nuages.

 

 

La lumière est crue en ce début d'été, l'air est sec et le chaleur de midi paraît engourdir ces étranges maisons de bois éparpillées un peu partout aux alentours.

 

 

Qu'on ne s'y trompe pas cependant. La belle saison est ici, sur les contreforts de la Sierra Nevada en Californie, de courte durée. On est à 2.500 m d'altitude. Les hivers sont rudes et il arrive parfois qu'il tombe tellement de neige que la seule route d'accès devienne totalement impraticable.

 

 

Bodie, la plus célèbre des cités minières fantômes de l'Ouest des Etats-Unis, lorsque les derniers touristes ont regagné leurs véhicules, se mure dans un épais silence, troublé seulement par le sifflement du vent, descendu des collines sans arbres qui l'entourent de toutes parts.

 

 

Les derniers habitants de Bodie (ils étaient 3 en 1943) abandonnèrent la ville dans les années 1940, mais le déclin avait commencé bien avant, dès la fin du 19ème siècle alors que l'annonce de la découverte de nouveaux filons dans d'autres régions incitait nombre de mineurs à miser ailleurs sur leur bonne étoile.

Au plus fort de l'exploitation aurifère, dans les années 1870, la ville comptait près de 10.000 habitants et comportait environ 2.000 maisons. Aujourd'hui, 170 bâtiments, plus ou moins de guingois, plus ou moins branlants, sont encore debout. 

 

 

A la grande époque, la rue principale, qui s'étirait sur 2 kms, ne comptait pas moins de 65 saloons !! Il y avait une banque, un bureau de poste, 4 postes de pompiers volontaires, une école, des boutiques, des magasins, des ateliers, un gymnase, une voie ferrée, une centrale électrique, un journal, une prison, les bureaux des syndicats, un cimetière très fréquenté, une salle de bal, un quartier chinois, et bien sûr des tripots et des bordels...mais pas d'église.

D'où le mythe longtemps entretenu de la petite fille qui, apprenant que ses parents décidaient de déménager pour Bodie, avait ajouté à ses prières du soir ; "Adieu Seigneur, nous partons pour Bodie"..

 

 

Ce n'est qu'en 1880 que fut érigée l'église Méthodiste, qui est toujours visible. Sa construction eut lieu alors que la ville recouvrait un aspect plus familial après le départ des 'mineurs d'un jour' attirés par les nouvelles découvertes et leurs prometteuses pépites.  

 

 

Il faut dire que la réputation de Bodie, archétype d'un Ouest sauvage et sans foi ni loi n'était plus à faire. Meurtres, agressions en tous genres, vols à main armées, attaques de banques et de diligences (il fallait bien transporter l'or qui était extrait) étaient monnaie courante, sans compter la prostitution et les ravages de l'alcool, de l'héroïne et de l'opium.

Une plaisanterie courante à San Francisco était de dire qu'il était impossible de traverser une rue de Bodie sans qu'une balle aille transpercer votre chapeau. Le panneau 'Shell' à la station d'essence porte encore aujourd'hui des traces d'impact !

 

 

Si, à la différence d'autres lieux comme Tombstone ou Dodge City, Bodie n'eut pas le "privilège" de voir un Wyatt Earp ou Doc Holliday arpenter les rues de la ville et dégainer plus vite que son ombre, elle fut à l'origine d'une expression, le "Bad Man from Bodie" qui, dans toute l'Amérique désigna bientôt un individu peu recommendable, truand, ruffian, bagarreur et éventuellement meurtrier de sang froid.

 

 

Aujourd'hui, on peut traverser la ville désertée sans essuyer le feu d'un tireur embusqué. En 1962, Bodie a été déclarée Parc Historique d'Etat et maintenue dans un état de 'délabrement arrêté', l'intérieur des bâtiments étant laissé tel que lors de son abandon.

 

 

Les grands chariots et les élégantes calèches ne brinquebalent plus à travers la ville en soulevant des nuages de poussière.

 

 

 

A travers les vitres salies, on distingue d'émouvants vestiges, objets du quotidien pour lesquels le temps s'est arrêté et que personne n'ose toucher, comme si une catastrophe nucléaire était soudain venue éradiquer toute vie à la surface de la terre. 

 

 

 

 

 

 

Les fenêtres-miroirs regardent des rues vides et leurs rideaux dépenaillés semblent évoquer les fantômes du passé.

 

 

Ces fantômes, je crois qu'ils rôdent toujours autour des bâtisses dont les planchers craquent sous les pieds de manière inquiètante, à commencer par Wakeman S. Body, l'un des quatre prospecteurs qui découvrirent en 1868 le premier filon en ce lieu qui, avec une légère déformation, portera par la suite son nom. Il s'était construit une barraque dans ce qui devait devenir Green Street. On retrouva son corps congelé peu de temps après pour avoir tenté de s'approvisionner dans une agglomération voisine un jour de méchant blizzard.

 

 

Comment ne pas évoquer Madame Mustache, flamboyante tenancière de tripots et accessoirement pourvoyeuse de filles de joie, de son vrai nom Eleanor Dumont, d'origine française, ainsi nommée parce qu'une fine pilosité ornait sa lèvre supérieure. Elle avait traîné ses guètres dans tout l'Ouest sauvage et acquis une solide réputation de femme généreuse. On disait qu'elle terminait ses parties de cartes en offrant un verre de lait au malheureux joueur qui se mesurait à elle et le faisait raccompagner jusqu'à son domicile où il devait affronter son épouse. 

 

 

Au soir du 9 Septembre 1879, Madame Mustache eut un gros revers de fortune dans l'établissement 'Le Magnolia' qu'elle gérait à Bodie. Elle sortit et marcha en direction des collines. Au petit matin, on retrouva son corps, auprès duquel il y avait un flacon d'héroine avec un petit mot disant qu'elle en avait assez de vivre.

 

 

Les habitants de Bodie étaient plutôt blasés en matière d'enterrements mais celui de Madame Mustache dépassa de loin en grandeur tout ce qui avait été fait auparavant. On fit spécialement venir pour l'occasion un superbe corbillard de Carson City à plus de 200 kms de là et l'assistance à la cérémonie fut exceptionnelle.

Et Rosa May, la prostituée au grand coeur, fille d'immigrés irlandais. Son fantôme aussi doit errer la nuit dans le vent des collines. Elle soigna sans relâche les mineurs durant une terrible épidémie avant d'être elle-même emportée par la maladie pendant l'hiver 1911/1912.

 

 

Bien des fantômes hélas ne sont pas recommendables, tel ce bon à rien de Washoe Pete dont l'histoire fut rapportée en 1878 dans le 'San Francisco Argonaut'. Hâbleur, bagarreur, sortant Colt ou couteau pour un rien, il s'en prit un jour, dans l'un des multiples saloons de Bodie, à un petit expert des Mines, chétif et timide, qui buvait tranquillement sa bière sans rien demander à personne. Tout Bodie en fit des gorges chaudes lorsque le petit expert envoya le malotru au tapis d'un magistral uppercut et offrit ensuite à l'assistance une tournée générale.

 

 

Le 15 Janvier 1878, John Bresnan et James Blair inauguraient la longue série des homicides en s'entretuant mutuellement. Des centaines et des centaines devaient suivre, faisant de Bodie la ville maudite dont la réputation sulfureuse allait bientôt dépasser de très loin les frontières de l'Etat.

 

 

A présent, le silence et le vent ont pris la place des réglements de comptes, mais la légende de Bodie perdure et les superstitieux croient toujours percevoir la présence d'âmes errantes dans ce qui reste de la mythique ville-frontière du temps de la ruée vers l'or.

 

 

Certains parlent même de la 'Malédiction de Bodie' qui voudrait que quiconque ramasse un objet-souvenir, même un clou, au cours de la visite du site, encourt ensuite les pires calamités.

Les rangers qui assurent la sécurité et l'entretien des lieux, admettent recevoir régulièrement des lettres, accompagnées de paquets, dans lesquelles d'anciens visiteurs s'excusent sincérement de leur larçin et retournent de menus objets 'collectés' lors de leur passage, avec l'espoir de mettre ainsi fin à la série de malheurs qui n'a cessé de les frapper depuis.  

 

 

Quoi qu'il en soit, Bodie, la ville-fantôme, demeure un endroit fascinant qui marque l'esprit de toute personne qui le visite. C'est un lieu magique qui ne laisse pas indifférent et où l'impression de temps suspendu fait qu'on s'attend, à chaque instant, à voir apparaître, au détour d'un bâtiment décrépi, quelques uns de ces personnages hauts en couleurs,que le cinéma a rendu familiers et qui firent les beaux jours de l'Ouest sauvage.

 

 

oooOOOooo

 

Les photos de cet article ont été prises par l'auteur sur le site.

Je suis en outre redevable à l'historien américain Michael H. Piatt, spécialiste de Bodie, pour les anecdotes concernant quelques personnages qui vécurent plus ou moins brièvement à Bodie. Il est l'auteur d'un ouvrage intitulé :' Bodie "The Mines are Looking Well".

La photo d'époque représente Warren Loose, propriétaire de la première des 9 usines de concassage du minerai d'or de Bodie, et sa femme. Elle est datée de 1903 et figure dans l'ouvrage de M.H.Piatt...

 

Les Fantômes de Bodie
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commentaires

T
Quelle émouvante page d'histoire, tu ressuscites ces vies passées, on croirait presque entendre leur souffle sous le vent qui balaie cette ville-fantôme hantée de reliques et peuplée de souvenirs. Tous ces saloons qu'il y avait, ça explique qu'on ne pouvait pas traverser la rue sans se faire transpercer son chapeau d'une balle ! Ce doit être prenant de marcher dans ces rues figées qui parlent d'autrefois. Un singulier voyage dans le temps, merci Jean-François !
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J
Il est vrai que visiter Bodie est très émouvant et on aimerait y passer des heures tant il y a de choses du passé à voir dans chaque maison, chaque remise, chaque atelier encore debout. Il est certain que la charge émotionnelle est forte lorsqu'on distingue à travers les vitres de l'école les pupitres des écoliers avec leur piétement en fonte, ou l'écritoire du postier dans le bureau du télégraphe ou encore le berceau en osier qui se désagrège dans une chambre aux papiers peints décollés...On peut comprendre les superstitions que tout cela génère. Un lieu magique en vérité. Bonne soirée Thaddée...
J
Un véritable reportage où l'on croit entendre la voix du conteur.....que tu es! Un monde sans pitié, typique de ces régions de conquete que sont les Etats Unis. On comprend pourquoi les américains sont si différents de nous! Les femmes au grand coeur, les très méchants..autant de personnages hauts en couleur que tu nous as dépeints! Un set de cinéma mais qui a vraiment vu tout ça. C'est l'Histoire de l'Amérique..nous avons des musées et des cathédrales, ils ont des lieux de mémoire!! Une belle page...merci!
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J
Ma réponse semble s'être accidentellement évanouie !! Je disais, avec mes remerciements pour ton commentaire, que Bodie est un lieu fascinant où, avec ces moments de vie figée, on retrouve des impressions ressenties en regardant les vieux westerns, mais en vrai cette fois. Il est louable, de la part de l'Etat de Californie, d'avoir su conserver ces vestiges tels quels, sans chercher à en faire une sorte de parc d'attractions, ce qui eut été bien dommage !<br /> Bonne journée Jacqueline.

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