Cela faisait bien une éternité que je n'avais pas rendu visite à la Basilique de Saint-Denis.
Eternité, un mot si approprié pour désigner ce lieu magique, réceptacle de plus de 70 tombeaux et monuments funéraires des souverains du Royaume de France.
La Cathédrale-Basilique, il faut la visiter de préférence un jour de plein soleil, quand la lumière traverse les somptueux vitraux de la nef et dépose sur le dallage sombre du transept un
tapis de taches multicolores.
On a souvent dit de la vénérable Basilique qu'elle était un hymne à la lumière et il est un fait que, franchi le seuil, on ne peut qu'être frappé par la clarté et la légèreté de cette voûte
vertigineuse.
Il régne ici une atmosphère sereine, tant il est vrai que les cars de tourisme ne s'aventurent guère dans le mal-aimé 'Neuf Trois' et préfèrent déverser leur cargaison bigarrée et cosmopolite
devant la Tour Eiffel, le Moulin Rouge ou le Sacré Coeur.
Les gisants royaux peuvent donc tout à loisir fixer de leurs grands yeux de marbre la voûte ogivale, là-haut, très haut au dessus de leurs têtes.
Ils sont alignés comme à la parade, drapés dans les plis savants des vêtements de Cour.
Droits, bien droits, les mains jointes, certains en armure et certains pieds nus, la tête posée sur des coussinets évoquant l'aspect, sinon la douceur, des précieux tissus d'antan.
Point de fleurs ici, mais beaucoup de couronnes.
Elles couvrent le chef de ces souverains aux noms étranges qui nous intriguaient tant sur les bancs de l'école, mais dont retenir la chronologie tenait du prodige. Pépin le Bref et Charles
Martel, Frédégonde et le bon roi Dagobert, Clovis et Berthe aux Grands Pieds, et même le vaillant Du Guesclin accompagnant son suzerain jusqu'en outre-tombe.
A leurs pieds, s'agite un étonnant bestiaire.
Petits chiens de compagnie des princesses..
Fidèles compagnons de chasses éperdues,
Confidents discrets des intrigues de Cour,
Espions au service de la Reine,
ou exécuteurs des basses oeuvres.
Ne seraient-ils point en fin de compte que des guides au royaume souterrain de la mort ?
Les Rois, de leur côté, préfèrent les lions, symbole de Puissance et de Résurrection.
Leurs pieds, chaussés de poulaines, reposent confiants sur les nobles crinières.
Le Roi des Animaux semble supporter sans rugir ces souverains fardeaux.
Louis le Hutin, fils aîné du ténébreux Philippe le Bel, est là, ainsi que son père et ses deux frères, les Rois Maudits de Maurice Druon, monarques sulfureux autour desquels flotte une odeur de
bûchers, de complots, d'intrigues et de meurtres, ceux dont d'insidieux poisons tordirent les entrailles et ceux qui se souciaent si peu du bien-être de leurs sujets.
Joliment désigné sous le nom de Jean Ier le Posthume, il est là lui aussi, le fils de Louis le Hutin et de Clémence de Hongrie, ce Bébé-Roi qui ne vécut que 5 jours. Selon Maurice Druon, c'est de
lui que l'infâme Mahaut d'Artois pensât abréger la si courte existence en lui essuyant la bouche avec un mouchoir empoisonné. Autres temps, autres moeurs !
La sépulture de sa maman se trouve à quelques mètres.
Les chroniqueurs du temps avaient décidément bien du mérite à démêler les fils de ces généalogies tortueuses.
Les funérailles allaient alors bon train..
.. et les occasions ne manquaient guère de déplorer la disparition brutale d'un souverain régnant.
Mais il serait dommage de sombrer dans la mélancolie.
Les Dames du Temps Jadis savaient égayer la Cour de leurs multiples talents, elles qui dansaient si bien le branle ou la saltarelle, jouaient du luth à ravir et décidaient souvent des affaires du
royaume.
Le monument funéraire construit pour Louis XII et Anne de Bretagne surprend par sa munificence. Les souverains y sont représentés nus et 'transis' selon la coutûme,
mais, agenouillés au-dessus de leur majestueux tombeau, ils ont rejoint un monde meilleur et prient sans doute pour le repos de l'âme des malheureux monarques alignés si impeccablement à leurs
pieds.
Puissent Henri II et Catherine de Médicis, allongés non loin, les entendre. Le repos de la Reine parait toutefois bien agité. Comment, à vrai dire, pourrait-il en être autrement quand le souvenir
de la Saint-Barthélémy vous hante encore?
Il ne faudrait pas croire cependant que le repos éternel de tous ces souverains a toujours été chose acquise.
La tourmente révolutionnaire a fait subir les derniers outrages a bien des sépultures.
La fureur sans-culotte a brisé le nez des gisants,
et, à y regarder de près,
on voit bien que la chirurgie tombale a eu fort à faire pour restaurer le royal odorat..
Elle n'a pu toutefois effacer les signatures impies qui maculent à jamais le marbre de tant de tombes.
Combien de mains avides et frustrées ont-elles caressé le sein de Marie-Antoinette?
Louis XVI semble n'en avoir cure et attend toujours patiemment le retour de La Pérouse.
Près du Choeur inondé de lumière, dans sa vitrine où se mirent les vitraux, un Roi Carolingien a un regard halluciné.
Insensible au serpent qui s'agite à son bras, une Vertu de marbre vérifie le bel ordonnancement des tombes.
Un vieillard se retourne.. sans doute sur son passé.
Des angelots minaudent autour d'une colonne parsemée de flammes.
Ils étaient les gardiens du coeur de François II.
A leurs pieds, un piédestal triangulaire nous rappelle, s'il en était besoin, la fragilité de la condition humaine.
Après un dernier regard à l'oeil géant qui veille cette armée de fantômes, il est temps de quitter les ombres du passé..
Dehors, il fait grand soleil. Une foule tranquille revient de la mosquée après la prière du Vendredi.
Un autre monde..