Sigiriya, inscrit au patrimoine mondial par l'UNESCO, est le site archéologique le plus visité du Sri Lanka.
Sigiriya, c'est le rêve insensé, au Vème siècle de notre ère, d'un souverain parricide qui, pris de remord et craignant une réincarnation fatale, décida de transférer sa capitale au sommet d'un énorme et mystérieux rocher, monolithe posé en plein coeur d'une jungle hostile.
Sigiriya, c'est la volonté de recréer le paradis sur terre, un lieu de beauté où tout serait en harmonie avec la nature, dans un splendide isolement, loin de la fureur destructrice des hommes.
Sigiriya, le 'rocher du lion', ainsi nommé parce que, au stade ultime de l'ascension pour parvenir au saint des saints, le palais du roi au sommet du monolithe, il fallait passer entre les pattes d'un énorme et impressionnant lion de pierre, peint de vives couleurs.
Il n'en reste aujourd'hui que les griffes.
Depuis le toit du rocher, où avaient été aménagés jardins parfumés, piscines et parterres fleuris autour des habitations royales, le souverain pouvait contempler, quelques deux cents mètres plus bas, le bel ordonnancement de sa capitale et l'harmonieuse disposition des douves, bassins, étangs et jeux d'eaux, alternant avec les corps d'habitation, les parcs ombragés et les jardins de pierre utilisant habilement la configuration naturelle du terrain où d'imposants blocs rocheux émergeaient du sol.
Là-haut, lorsque les brumes du matin enveloppaient le rocher, le roi pouvait se sentir l'égal d'un Dieu, dominant le reste du monde.
Pour accentuer cette impression, il avait fait recouvrir le rocher d'une couche d'un plâtre blanc lumineux. Vu d'en bas, cela donnait l'impression que le rocher flottait comme un nuage habité par des êtres divins.
Il avait en outre demandé à ses artistes de peindre sur ce revêtement des images féminines à la beauté rayonnante, témoignant ainsi de l'opulence et de la grandeur du souverain.
Richement parées et représentées à mi-corps, elles paraissaient flotter dans l'espace, telles des nymphes célestes.
Les chroniqueurs assurent qu'il y avait un total de quelques cinq cent figures féminines qui agrémentaient ainsi le blanc nuage. Quinze siècles plus tard, elles ne sont plus que vingt et une à avoir échappé aux outrages du temps car protégées par une anfractuosité du rocher.
En 1967, ces dernières survivantes faillirent bien disparaître à jamais, victimes d'un vandalisme qui effaça irrémédiablement le visage de deux d'entre elles et recouvrit les autres d'une peinture verte que les autorités sri-lankaises eurent bien de la peine à éliminer, au prix sans doute d'un certain défraîchissement des vives couleurs originelles.
L'dentité de ces demoiselles a fait couler beaucoup d'encre.
A la différence de leurs consoeurs indiennes d'Ajanta, toute connotation religieuse est absente. Ce sont des êtres de chair et de sang, à la féminité triomphante, incroyablement vivantes, aux formes généreuses, voluptueuses et désirables, mais jamais provocantes. Elles célèbrent le pouvoir et la splendeur du maître de la cité des dieux.
L'hypothèse la plus vraisemblable est que les jeunes femmes du harem royal servirent de modèles à ces fresques délicates, sans doute les plus belles que l'on puisse trouver datant de cette période et qui prouvent la très grande habileté des artistes au service du roi.
Cette hypothèse est confortée par le fait que toutes portent au cou un très fin tatouage en forme de petit collier, probable témoignage de leur appartenance au souverain.
Toutes portent une profusion de bijoux précieux, mais certaines d'entre elles arborent en outre des coiffures très élaborées et des rangées de bracelets, pouvant signifier qu'il s'agissait de membres de la famille royale, accompagnées de leurs suivantes.
Images fragiles, émouvantes, aux couleurs vibrantes, parfois à demi effacées, ces demoiselles au sourire énigmatique fascinent toujours, comme elles ont dû à l'époque fasciner les visiteurs de ce monarque qui se prenait pour un dieu.
A la dix-huitième année de son règne, apprenant que son frère, décidé à venger la mort de leur père, approchait de la citadelle à la tête d'une armée, le roi, sourd aux conseils de ses mages, descendit de son rocher pour aller le combattre. Trahi par son chef des armées qui fit battre ses soldats en retraite, il se retrouva seul, isolé, sur son éléphant de guerre.
Les chroniqueurs racontent que, plutôt que de se rendre, il préféra se trancher la gorge avec sa dague sertie de pierres précieuses.
Il s'appelait Kasyapa. Il avait régné de 477 à 495 de notre ère.
C'en était fini d'un beau rêve. Il n'avait duré que dix-huit ans, dix-huit petites années, une infime goutte d'eau dans l'océan de l'histoire.
image web, vue aérienne du site
Délavé par les pluies tropicales, le blanc nuage se dissipa peu à peu et le grand monolithe retourna se poser au milieu de la jungle.
Reconverti un temps en monastère par les prêtres qui n'avaient que modérément apprécié cet étalage de plaisirs séculiers, le site, qui terrorisait les habitants de la région, qui le pensaient hanté, finit par sombrer dans l'oubli.
Quinze siècles s'écoulèrent, jusqu'à ce jour de 1831, où un officier britannique, venu chasser l'éléphant dans les parages, ne le redécouvrit, rongé et envahi par une épaisse végétation.
On peut se demander si ce roi tourmenté, qui avait soulevé une montagne pour en faire le siège céleste de son pouvoir divin, trouva quelque repos dans une vie ultérieure.
Toujours est-il que son palais reste à ce jour bien protégé. D'énormes essaims de frelons, que les anglais appellent 'hornets' ont vaillament résisté à toute tentative d'éradication. On les surnomme les 'gardiens de Sigiriya'.
Ils inspirent une crainte respectueuse aux essaims de touristes qui montent à l'assaut du site aux heures chaudes de la journée.
Peut-être au fond est-ce pour cela que les demoiselles survivantes ont conservé leur énigmatique sourire ??
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