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19 février 2016 5 19 /02 /février /2016 12:34

 

Dans une vitrine - j'allais dire un aquarium - du musée Guimet à Paris, on peut contempler de bien étranges poissons au museau pointu.

 

.

 

Ils sont très vieux.

Ils ont l'âge de la petite danseuse chinoise de mon dernier article :

Vingt siècles !

 

 

Ils sont en verre soufflé.

Les spécialistes les décrivent sous le vocable de 'flacons icthyomorphes', un nom lourd à porter pour ces petites créations si fragiles et si légères qu'on peut les voir trembloter lorsqu'un visiteur curieux s'approche de la vitrine.

 

 

Intrigué, vous vous approchez à votre tour pour découvrir la provenance de ces élégants et surprenants vestiges de l'antiquité, mais la lecture du petit carton explicatif vous laisse pantois :

Afghanistan

Begram

vallée de la Kapisa

Se peut-il vraiment que ces délicates sculptures de verre proviennent de cette vallée aux sublimes paysages, que l'on a qualifiée de maudite, où plus de cinquante militaires français trouvèrent la mort entre 2004 et 2014, et plus précisément de cette ville, Begram - on dit aussi Bagram -, rendue tristement célèbre par les effroyables exactions qu'y commirent des tortionnaires dans la prison locale ?

 

 

 

En 1937, quand Joseph et Marie-Alice Hackin, un couple d'archéologues français, mirent à jour ce que l'on devait appeler par la suite 'le trésor de Begram', ils pouvaient se promener tranquillement dans la vallée, à cheval ou en voiture, jouir de l'extraordinaire beauté des paysages et de la gentillesse proverbiale de ses habitants.

Ils devaient malheureusement disparaître tragiquement durant la Seconde Guerre Mondiale.

Aujourd'hui, des soldats surarmés, équipés comme des cosmonautes, patrouillent, la peur au ventre, dans les pauvres villages aux murs de terre craquelée qui s'alignent dans la vallée autrefois riante ...

 

 

Mais revenons à nos poissons.

Qu'est-ce au juste que le trésor de Begram ?

A dire vrai, on n'en sait trop rien. Les fouilles effectuées avant la guerre, mirent à jour un nombre impressionnant d'objets de grande qualité (souvent très endommagés car le plafond d'une salle s'était effondré) curieusement disposés par catégories, verrerie, terres cuites, ivoires, bronzes etc..d'où la conclusion qu'il pourrait s'agir du fonds de commerce d'un riche marchand dans ce lieu qui fut un carrefour d'échanges important entre Orient et Occident sur la route de la soie.

 

 

 

 

 

Ces objets raffinés ne sont pas de fabrication locale.

Ils proviennent d'Inde, de Chine, d'Asie centrale, de Perse, de Grèce ou de Rome.

L'origine des poissons est incertaine, sans doute proviennent-ils des confins du monde romain, et sont-ils de facture Scythe ou égyptienne ?

 

 

Il est sûr en tous cas que ces fragiles représentants du monde marin ont subi l'épreuve d'un dur périple avant de parvenir à Begram. Il leur a fallu traverser des déserts brûlents pour ensuite affronter les contreforts de l'HIndu Kouch où l'hiver, comme le notait Kipling, il fait un froid de chien et où les routes ne sont jamais plus larges que le dos de la main ..

 

 

Depuis Cyrus, Darius et Alexandre le Grand, bien des armées ont traversé ces vallées profondes de l'Est de l'Afghanistan, points de passage obligé sur le route de l'Orient.

Plus près de nous, les soviétiques ont érigé à Begram une base aérienne gigantesque, à laquelle devait succéder, quelques années plus tard une autre base, encore plus gigantesque, érigée cette fois par les américains ...

 

 

Mais alors, direz-vous, vos jolis poissons irisés qui tremblent dans leur vitrine, ils ne s'en sont pas si mal tirés après tout :

Ils ont été exfiltrés à temps, à la barbe des talibans, échappant ainsi à leur folie meurtrière.

Ils ont été amoureusement et minutieusement restaurés, bichonnés, rafistolés.

Ils auraient très bien pu subir le même sort que les malheureux bouddhas de Bamiyan.

Ils auraient pu - ce qui est un comble pour un poisson - périr noyés dans le ciment des bases aériennes.

Et la Syrie et l'Irak alors. N'est-ce pas bien pire ?

Et tous ces pays où l'on prie Dieu cinq fois par jour, mais que Dieu a sans doute oubliés !!!

 

 

Je regarde encore une fois ces antiques poissons de verre.

Ils proviennent d'une lointaine vallée où l'homme paraît bien petit confronté à la majesté de la Nature.

De leur bouche grande ouverte semble s'échapper un message que nous ne parvenons pas à entendre.

Je crois qu'ils tentent en vain de nous faire prendre conscience de la folie des hommes et de l'absurdité des guerres ....

 

 

oooOOOooo

 

 

Les Poissons de Verre
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commentaires

J
jesuis comme toi devant les vestiges des civlisations anciennes.Bien sur leur beauté me subjugue mais jepense au temps qui est passé, aux hommes qui les ont regardés et qui sont morts. Et les objets, eux, sont toujours là, bravant la mort. Une autre considération quejepartage avectoi est celle que grace à nos Musées "occidentaux" nous avons pu protéger ces merveilles! Ici à Rome j'ai pu admirer les portraits sublimes des tombes de Palmyre...
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J
Entièrement d'accord avec toi. Dans le cas de ces fragiles objets, j'ai eu un choc en découvrant leur provenance. Cette vallée de la Kapisa reste un traumatisme pour les militaires qui y ont stationné et on a du mal à imaginer que quelque part, enfouis dans ces terrains truffés de mines, il reste peut-être des morceaux de ces drôles de petits poissons de verre...
T
Où est ton article sur Rimbaud ? ... Je le cherche et ne le trouve pas.
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J
Je dois le refaire complètement. La solution à laquelle j'avais pensé en Power Point s'est révélée désastreuse. Je vais m'y atteler de nouveau et je t'informerai bien sûr. Bon week-end à toi.
T
C'est encore un article d'une grande valeur, si richement documenté, et qui nous révèlent ce que sans doute peu d'entre nous connaissaient ! Quelle merveille ces petits poissons de verre ... Merci ! Passe un beau week-end Jean-François.
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J
Merci Thaddée. Ce qui m'a surtout frappé en découvrant ces élégantes sculptures de verre c'est le contraste saisissant entre leur aérienne fragilité et l'affreuse réalité d'un pays aux paysages sublimes qui a sombré dans un chaos meurtrier et perdu ses valeurs de sagesse traditionnelle. Ces poissons semblent témoigner d'un passé à jamais disparu.
D
vingt siècles...émotion intacte.
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J
C'est vrai. Des objets émouvants de par leur âge et leur fragilité, Mais savoir qu'en outre ils proviennent de cette vallée qui fit tristement la une des journaux pendant si longtemps et où il semble toujours improbable que la paix revienne un jour ajoute encore à l'émotion. Merci pour la visite.
E
Oui, un trésor !... échappé par miracle jusqu'à nous... Déjà à Pompéi, on découvrit des objets en verre... Ce sont eux qui m'ont le plus fascinée au Musée Archéologique de Naples... Merci Jean-François pour ce beau billet...
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J
Des objets très émouvants de par leur âge et leur légèreté. On se demande vraiment comment ils pouvaient être acheminés au Ier siècle de notre ère dans des régions aussi difficiles d'accès. Et puis découvrir qu'ils proviennent de la vallée de la Kapisa, c'est un choc..

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