Dans les hauteurs de l'île d'Isabela, aux Galapagos, si l'on emprunte le petit chemin forestier qui mène à l'enclos des tortues géantes, on est forcément amené à remarquer qu'à certains endroits, des bancs ont été disposés, qui semblent adresser au passant un clin d'oeil complice, l'invitant à souffler un peu, surtout lorsque le soleil de l'après-midi cogne avec vigueur.
Voilà une bien charmante attention direz-vous. Oui, mais, car il y a un mais, ces bancs ont été installés au beau milieu de bosquets serrés d'un bel arbre des rivages marins de la Caraîbe et de l'Amérique latine, le mancenillier, au feuillage toujours vert, dont les fruits, abondants, ressemblent à de petites pommes d'un jaune-verdâtre.
Et alors, penserez-vous, l'intention n'est-elle pas louable de disposer ces bancs sous des ombrages accueillants et protecteurs ?
Hélas, trois fois hélas, sachez que le mancenillier est un véritable condensé de poison. Tout en lui est infiniment vénéneux. Depuis la pointe des racines jusqu'à l'extrémité des feuilles, tout, le tronc, l'écorce, la sève, les feuilles, tout est incroyablement toxique. On le nomme quelquefois figuier vénéneux. Au Vénézuela, on l'appelle arbol de la muerte, c'est tout dire. Aux Antilles, on peint en rouge une tête de mort sur son tronc gris pour avertir le promeneur distrait et les indiens caraïbes utilisaient dit-on sa sève comme poison de flèches et de pêche.
Un simple contact avec n'importe quelle partie de la plante provoque une grave inflammation de la peau et une conjonctivite intense. Aux Antilles encore, la légende dit même qu'on ne saurait rester sous l'ombre d'un mancenillier sans devenir aveugle !! L'inhalation de poussières de bois vert provoque rhinite, laryngite et bronchite. Or, le bois de mancenillier est utilisé en menuiserie bien que le bois sec provoque à l'occasion des réactions cutanées chez les individus sensibles.
On raconte que les ouvriers qui abattent les arbres et les scient doivent prendre des précautions pour ne pas être incommodés par le latex. Ils allument un feu autour du tronc.pour lui enlever une partie de son suc en prenant bien soin d'éviter la fumée pendant l'opération. On prétend aussi qu'autrefois ils travaillaient entièrement nus après s'être copieusement enduits d'huile pour éviter les brûlures...
Placé à proximité, un tableau laconique se borne à avertir le quidam du caractère vénéneux des jolies petites pommes qui jonchent le sol par milliers. Doux euphémisme en vérité! Je me garderai bien d'évoquer ici les conséquences de l'ingestion accidentelle des fruits de cet arbre maudit, elles sont dignes du plus abominable des films d'horreur.
Ce funeste tableau étant brossé, on peut alors se demander à juste titre pourquoi diable - c'est le cas de le dire - a t-on eu l'idée saugrenue d'installer des bancs à l'ombre de ces funestes végétaux.
Un possible élément de réponse serait la volonté inavouée et inavouable de réguler le flot touristique dans cette région hyper protégée de la planète, mais le souci de préserver la bio-diversité au détriment de l'espèce humaine semble peu compatible avec les principes éthiques des successeurs de Darwin. Alors, que penser ?
Il faut dire qu'il n'y a pas foule sur ces bancs, nullement comparables à ceux des Tuileries ou du Luxembourg où, les jours d'été, il faudrait pratiquement simuler une syncope pour avoir une petite chance de s'y poser.
Commen font les étranges tortues des Galapagos pour se délecter de ces concentrés de poison ??
Un cactus espion qui se trouvait sur leur passage a bien essayé de percer le mystère, mais en vain.
Peut-être après tout que, dans l'infinie sagesse que leur confère leur grand âge, les tortues veulent épargner aux humains les horribles souffrances qu'engendrerait la dégustation de ces fruits maléfiques. .Qui sait ?
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