La semaine dernière avait lieu à Paris la dispersion aux enchères de la fabuleuse collection d'art forain de Fabienne et François Marchal. L'exposition préalable à la vente fut l'occasion d'une délicieuse immersion dans l'univers magique des fêtes foraines d'antan.
Ils étaient venus, ils étaient tous là, les animaux de manège, avec bien sûr à leur tête les fiers destriers qui faisaient autrefois l'orgueil des foires.
Libres enfin de ne plus avoir à tourner éternellement en rond ou de monter et descendre bêtement sur un air de valse, ils donnent libre cours à leur joie, galopant fièrement, se cabrant, sautant et caracolant.
Derrière eux se presse une foule bariolée et disparate, ménagerie improbable où se côtoient dans un joyeux désordre les espèces les plus furieusement antagonistes.
Zèbres, moutons, crocodiles, chats, lapins, petits cochons, tigre du Bengale ou dragon vert, tous courent à perdre haleine, ivres sans doute d'être pour une dernière fois réunis.
Contre les murs, des panneaux à miroirs, vestiges des boutiques de confiserie, renvoient à l'infini l'image de cet incrioyable déferlement.
Adossé à la paroi vitrée, un petit personnage oriental parait assister incrédule à cette insolite cavalcade.
Des décors peints, qui avaient peut-être jadis dissimulé la mécanique complexe des manèges, évoquent, en des tons délavés, une vie idyllique et champêtre rappelant les mythologies murales des palais princiers.
Illusion, c'est bien en fait d'illusion qu'il s'agit, car la Fête Foraine est là pour nous entraîner dans un monde magiqie et merveilleux où tout devient possible. Dès l'entrée, en échange de quelques modestes centimes, le rêve devient réalité.
Eblouis par les lumières, étourdis par la musique et le bruit, ennivrés par l'odeur de la guimauve et de la barbe à papa, comment résister à l'invitation des belles renommées qui nous accueillent de si gracieuse façon.
Et que dire alors des lascives tentatrices qui ornent le fronton de bien des attractions.
Dans sa loge vitrée, Irma, l'aguichante gitane, pointe son doigt sur une carte. Elle tourne doucement la tête, ses yeux s'animent, sa poitrine flatteuse respire profondément. Tandis que sa boule de cristal s'allume et s'éteint,, d'un petit guichet sort votre horoscope, forcément bénéfique.
A quelques pas de là, son éternel rival le Professeur Kheudj'Shi, tout auréolé des mystères de l'Orient, impressionnant de sérieux avec sa barbe bien taillée, ses bijoux et son turban, délivre lui aussi des messages sibyllins qui vous ouvrent la voie d'un avenir radieux.
Après un passage par le rigolarium et ses miroirs déformants et un coup d'oeil discret au musée des horreurs anatomiques, le temps est venu de vous défouler au tir mécanique coquin où, si vous n'êtes pas trop maladroit vous aurez peut-être la chance de faire pivoter du côté pile la petite figurine. Elle vous révélera alors la partie la plus charnue de la charmante ingénue, par ailleurs fort chastement vêtue sur le côté face.
C'est décidément votre jour de chance car un joli doublé aux cochons passe-boules vous permet de gagner un ours en peluche.
Dès lors, la fête vous emporte et vous tournez avec les manèges. Vous y avez le choix entre une gondole vénitienne, une charrette tirée par une autruche, un cygne creux, Popeye chevauchant une fusée, une conduite intérieure, un bateau-balançoire ou un général-centaure..
Un peu groggy, vous admirez encore St. Georges terrassant le dragon et les somptueux décors de l'infatigable limonaire, avant de quitter à regret ces lieux enchantés.
Cette nuit, il vous arrivera peut-être de rêver qu'un traineau conduit par de superbes chevaux blancs vous emporte à vive allure.
Peut-être également aurez-vous la chance de surprendre un dialogue entre les généraux-centaures,
ou de découvrir une idylle naissante entre la jolie ballerine et l'austère marionnette,
ou entre le bel éphèbe et Irma, la bohémienne diseuse de bonne aventure.
Tous les acteurs de cette fête éphémère sont maintenant repartis vers de nouveaux horizons, dispersés au feu des enchères, et les marionnettes ont replié leurs fils.
Gageons qu'il leur sera donné, encore et encore, d'apporter un peu de rêve à celles et à ceux qui admireront à l'avenir ces rescapés d'un monde révolu.
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La vente de la collection de Fabienne et François Marchal était assurée par la Maison Cornette de Saint Cyr, à laquelle je suis redevable de la description des oeuvres photographiées dans cet article, qui ne constituent en réalité qu'une toute petite partie des merveilleuses pièces mises aux enchères à cette occasion.