N'allez surtout pas penser qu'il s'agit ici d'une aberration chromatique résultant d'une utilisation irraisonnée de Photoshop.
L'incroyable couleur vert fluo de l'eau contenue dans cette vasque naturelle est bien réelle et les spécialistes vous diront qu'elle est en fait due à une très forte concentration d'arsenic
Cette vasque a été surnommée la 'Baignoire du Diable' et on ne serait pas autrement surpris de voir émerger de ce bouillon toxique un monstre gluant digne du plus horrifique film de science-fiction.
Nous sommes à Wai- O - Tapu, le parc géothermique le plus important de l'île du Nord de la Nouvelle-Zélande. à proximité de Rotorua. En Maori, cela signifie 'l'Eau Sacrée' et on imagine sans peine les sentiments qui durent traverser l'esprit des premiers découvreurs de ces extraordinaires phénomènes naturels.
Car ici, où il lui arrive de marcher à quelques centimètres au-dessus d'un chaudron en ébullition, l'Homme prend conscience de sa fragilité face aux forces monstrueuses de la Nature. Sous ses pieds, des plaques tectoniques s'affrontent et, en surface, au beau milieu d'une riante végétation, ce ne sont que vapeurs brûlantes, bouillonnements, gargouillis, geysers et odeur de soufre.
Car ici, c'est bien à une promenade sur le territoire du Malin que l'on est convié. Outre la 'Baignoire du Diable', on peut aussi contempler les 'Encriers du Diable', emplis d'une boue glougloutante, la 'Maison du Diable' avec ses cristaux de soufre jaune, le 'Cratère de l'Enfer' qui bouillonne toujours violemment et, pour parfaire l'illusion vous vous retrouvez enveloppé de vapeurs et poursuivi par l'odeur insidieuse des gaz sulfureux.
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Pour les passionnés de chimie, cet enfer a des allures de paradis car on vous explique que si le jaune est synonyme de soufre, la couleur orange est révélatrice d'antimoine, le blanc de silice, le vert d'arsenic, le rouge-brun d'oxyde de fer, le violet de manganèse, etc.. etc.. La 'Piscine de champagne', la plus spectaculaire, avec ses 60m de diamètre, ses 60m de profondeur et son eau à 74°C est un concentré de métaux rares et ses bulles viennent crever une surface aux teintes psychédéliques.
La 'Palette de l'Artiste' quant à elle, semble refléter la fureur avec laquelle un peintre démiurge s'est efforcé lors du grand chaos initial d'illustrer les bouleversements auxquels il assistait.
Le plus extraordinaire est que, dans cet environnement létal la vie continue. Une échasse blanche déplace précautionneusement ses longues jambes dans cette soupe empoisonnée dont elle semble totalement immunisée.
Les arbres, à proximité immédiate des émanations sulfureuses, se sont recouverts d'une algue appelée 'trentepohlia', de couleur rouge ou orange, qui protège leur chlorophylle et leur permet de survivre, donnant aux paysages de sous-bois un aspect fantasmagorique.
Mais, direz-vous, et la Lady dans tout çà ?
J'y viens justement. A une centaine de mètres du parc proprement dit un petit monticule de silice laisse échapper des vapeurs chaudes. Il n'attirerait pas particulièrement l'attention si ce n'est qu'à heure fixe - à 10h15 du matin précisément - il se transforme en un impressionnant geyser En fait, s'il était livré à lui-même, l'horaire de cette transformation serait totalement aléatoire et seuls quelques touristes chanceux se trouveraient au bon endroit au bon moment pour observer le phénomène.
Les responsables du parc, qui ont un sens commercial aigu, ont jugé plus commode de 'réveiller' le geyser tous les jours à heure fixe, ce qui permet de concentrer un maximum de visiteurs qui doivent alors débourser un supplément au tarif d'accès au parc pour assister à la chose. Ce sont en fait les conditions dans lesquelles le phénomène a pour la première fois été observé, seulement au tout début du XXème siècle, qui sont à l'origine de cette idée de réveil (et qui expliquent aussi pourquoi cette découverte tardive n'a pas de nom Maori).
En 1901, quelques prisonniers affectés par l'administration pénitentiaire à des travaux dans la zone, lavaient leur linge, profitant de l'eau chaude fournie généreusement et gratuitement par mère Nature. L'un d'eux, l'opération terminée, jeta négligemment les restes de savon dans la bouche du cratère. Il s'en suivit l'éruption d'un geyser de plus de 20m de haut. On imagine sans peine l'émoi de ces prisonniers voyant leurs sous-vêtements s'envoler ainsi brutalement.
On sait maintenant que le savon agit comme un 'tensioactif' libérant l'énergie compressée entre deux masses liquides de températures différentes, ce qui permet donc de présenter à heure fixe une belle éruption aux visiteurs assemblés pour le spectacle dans un amphithéâtre construit tout exprès autour de la vedette de silice.
Après sa découverte, on attribua au geyser le nom de 'Lady Knox' en hommage à l'épouse du gouverneur britannique d'alors. L'histoire ne dit pas s'il fut attribué malicieusement en référence aux débordements de la dame...
Après un long discours de présentation destiné à chauffer l'assistance, 'Lady Knox' reçoit donc sa dose journalière de savon et commence à éructer, fumer et baver impunément de plus en plus fort sous les yeux et les caméras du public. L'éruption liquide intervient à peine 2 minutes plus tard et propulse dans les airs un joli jet d'eau, moins impressionnant toutefois que celui du lac Léman à Genève...
Le paroxysme, immortalisé par les smartphones et appareils photos de tous types brandis avec un bel ensemble par la totalité des spectateurs. dure moins d'une quarantaine de secondes avant que le jet ne retombe mollement et que la centaine de touristes, venus des quatre coins du monde ne regagne sagement cars et véhicules.
En repassant dans le parc, maintenant bondé à ce moment de la journée, il m'a semblé percevoir un rire sourd provenant du fond de la baignoire verte
Mais peut-être n'était-ce qu'un oiseau dans le sous-bois ..
oooOOOooo
(photos de l'auteur).