De retour d'un circuit en Equateur, j'ai, pour une fois, privilégié les gens dans mes photos de voyage, au détriment des beaux paysages, tant il est vrai que les habitants de ce pays si divers sont attachants.
Je garde particulièrement un souvenir très vivace des communautés indiennes des hautes cordillères dont on ne peut qu'admirer l'opiniâtreté et le courage dans un environnement hostile qu'elles ont su si bien maîtriser.
Il n'est certes pas aisé de photographier les villageois dans leurs activités quotidiennes car ils ont la sainte horreur des touristes qui, à peine débarqués de l'autocar braquent leur caméra sous leur nez en quête de couleur locale et d'exotisme. Par pudeur, par superstition et aussi avec un sentiment aigu de frustration face à une différence flagrante de moyens d'existence, ils se détournent de l'objectif, s'ils ne s'en prennent pas véhémentement à l'intrus.
Il faut donc se faire le plus discret possible et préférer la longue focale au gros plan inquisiteur.
C'est jour de marché à Zumbahua, dans la cordillère centrale, occasion pour les villageois de commercer, de se retrouver, d'échanger les nouvelles et, pour les femmes, d'arborer leurs habits de fête et de se draper dans leurs plus beaux châles aux couleurs chatoyantes.
On est ici à 3200m d'altitude et il fait plutôt frisquet. Nos poumons européens nous rappellent que, contrairement aux autochtones, le souffle se fait rare dès que l'on bouge un peu. Une petite pluie fine et persistante et une méchante bise complètent le tableau.
Chapeautées de feutre et le visage dissimulé derrière un foulard pour se protéger du froid, certaines villageoises évoqueraient plutôt les films noirs des années trente, si le châle aux couleurs vives ne venait rappeler leur appartenance sociale et leur statut de mère et épouse, selon des codes vestimentaires bien établis.
Chaque recoin du marché est un festival de couleurs.
Dans son échoppe volante, un couturier travaille à la carte avec sa vieille machine à coudre.
Dans le secteur couvert, la bouchère attend patiemment le client.
Prenant soudain conscience de ma présence, elle se dissimulera prestement sous le châle.
Venus de la côte, ces régimes de bananes fourniront une diversion appréciée aux revigorantes soupes traditionnelles à base de pommes de terre, de quinoa, de fromage et de divers légumes qui constituent l'ordinaire des populations andines.
Le marché est d'ailleurs l'occasion de se restaurer sur le pouce et d'échanger quelques nouvelles avant d'entamer le chemin du retour.
Cette petite fille ramènera fièrement une botte de poireaux.
Mais pour d'autres la charge sera infiniment plus lourde.
Des élégantes attendent un véhicule à la sortie du marché.
D'autres s'entasseront dans un bus brinqueballant et inconfortable,
ou grimperont à l'arrière d'un pick-up.
Mais pour beaucoup, l'attente sera bien longue.
Non loin de là il y a fête sur le haut plateau, près des spectaculaires canyons, et d'énormes hauts-parleurs ont été mis en place.
On boira beaucoup à cet occasion, y compris l'eau-de-vie locale incroyablement forte, l' aguardiente ou eau de feu, histoire d'oublier un peu la dureté de la vie. En conséquence, maints retours seront plutôt titubants.
Si d'aventure il vous arrive de croiser en chemin une indienne endormie, accordez lui le bénéfice du doute, peut-être n'est-ce seulement qu'un excès de fatigue !
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Pour la petite histoire, ce village andin de Zumbahua, resté très authentique, est célèbre en Equateur par le fait que le Président de la République, Rafael Correa, y fut investi symboliquement en Janvier 2007 au milieu des communautés indigènes. Il se vit remettre à cette occasion - en présence de ses amis, le vénézuélien Hugo Chavez et le bolivien Evo Morales - le bâton de chef par les shamans quechuas qui entamèrent également une cérémonie de purification censée le protéger des mauvais esprits pendant sa présidence. Rafael Correa avait, il est vrai, passé - jeune étudiant - deux ans dans ce village, au sein d'une mission catholique, travaillant au côté des villageois sur des projets de développement rural.