En rééditant, à l'occasion de ce tout début d'année, le conte que m'inspira, il y a déjà quelque temps, la découverte du portrait d'un très jeune gentlhomme anglais de la fin du XVIIIème siècle, George Thomas Staunton, je me propose.tout simplement de vous transporter, en compagnie d'un robinson du siècle des lumières, sur une île déserte perdue au beau milieu du grand océan.
Imaginez le bruit des vagues, le souffle chaud des alizés, le froissement des palmes et le cri des oiseaux marins. Vous y êtes déjà !
Sur le tableau, Thomas - appelons le ainsi pour faire simple - est représenté, comme il était d'usage à l'époque, désignant de son index pointé sur le globe terrestre, une destination qui pouvait être à la limite du monde connu mais sûrement pas hors de portée des rêves aventureux de l'intrépide jeune homme.
Lorsqu'il embarqua, un beau matin de l'an de grâce 1792, sur un trois-mâts barque à destination des Indes Orientales, il est fort probable qu'il possédait déjà une certaine expérience maritime.
Peut-être même avait-il participé, en qualité de mousse à l'un de ces épouvantables combats navals qui opposaient alors les flottes des grandes nations européennes et que les peintres de la cour représentaient ensuite avec force détails terrifiants.
Il est en tous les cas certain que Thomas avait bel et bien le pied marin lorsque le navire appareilla et que les côtes de son Angleterre natale disparurent peu à peu à l'horizon.
En ce temps là les traversées étaient interminables et les conditions de vie à bord si rudes qu'elles avaient tôt fait d'endurcir les cadets les plus tendres.
Mais le jeune Thomas ne se plaignait pas et s'émerveillait chaque jour un peu plus du fabuleux spectacle que lui offrait l'océan.
La première partie du voyage se déroula le mieux du monde.
Il n'en fut pas de même quand, doublé le cap de Bonne Espérance, le navire s'engagea dans ce traître océan que l'on appelle Indien.
Une horrible tempête secoua bientôt le navire. Des montagnes d'eau s'abattirent sur le pont du voilier qui, incapable de maintenir un cap dans ces conditions, finit par devenir le jouet des flots.
Lorsque les voiles se déchirèrent dans un craquement sinistre, chacun à bord ne put que recommander son âme à Dieu.
Pour le malheureux équipage, cet enfer parut durer un temps infini, puis il y eut un choc énorme et le navire s'enfonça irrémédiablement dans l'eau noire ...
Quand Thomas ouvrit les yeux, il était allongé sur une plage de sable fin. Il avait dû rester bien longtemps inconscient car le hurlement du vent et le déchaînement des vagues avaient cédé la place au souffle régulier d'une mer turquoise qui venait doucement lécher un rivage d'un blanc immaculé. ,
Aucune trace de présence humaine, C'était comme au premier matin du monde. Seuls, des vestiges blanchis d'arbres déracinés, témoins de fureurs passées, paraissaient, dans la lumière aveuglante, adresser au ciel des suppliques muettes.
Thomas s'aperçut soudain de la présence à son côté d'un drôle d'oiseau au long bec qui observait le naufragé du coin de l'oeil.
Et c'est alors seulement, comme s'il retrouvait l'usage de ses sens, qu'il prit conscience qu'un bruit assourdissant emplissait l'air. Des milliers d'oiseaux voletaient en tous sens dans une extrême confusion de trajectoires et de sons suraigus.
Thomas dut se rendre à l'évidence, les oiseaux étaient les seuls habitants de cette ïle.
Ils n'avaient apparemment jamais eu à souffrir de la présence humaine car ils se laissaient facilement approcher.
Par bonheur pour le malheureux naufragé, cette île-volière se révéla plutôt accueillante. L'abondance de fruits et la présence de sources écartèrent bien vite tout risque de périr de faim et de soif.
En outre, l'épave de l'infortuné navire, opportunément rejetée par l'océan, lui fournit bois et outils pour la construction d'un logis de fortune.
Plusieurs longues années s'écoulèrent, au cours desquelles Thomas et les oiseaux eurent tout loisir pour faire plus ample connaissance et s'apprivoiser réciproquement.
Or, voilà qu'un beau matin, des pêcheurs indigènes escalèrent sur le rivage pour se reposer d'un long périple et faire provision d'eau douce...
Quelle ne fut pas leur stupeur quand ils découvrirent qu'un homme blanc, barbu, aux cheveux longs et au teint basané, parlait aux oiseaux et que ceux-ci, assemblés par milliers , l'écoutaient sagement en silence, sans même un battement d'aile.
La rumeur se répandit comme une trainée de poudre dans tous les archipels alentour qu'un étranger, venu de la mer, parlait aux oiseaux.
La légende de l'île aux oiseaux était née...
On raconte encore aujourd'hui que si les oiseaux marins, avant d'accomplir leur grande migration annuelle, se rassemblent par centaines de milliers, voire par millions, sur cet ilot perdu au fin fond de l'océan, c'est pour honorer la mémoire de ce naufragé qui, il y a bien longtemps, faute de pouvoir communiquer avec ses semblables, avait accompli le miracle de se faire écouter et comprendre de ces éternels coureurs de tempêtes.
Voila, j'espère, à l'aube balbutiante de cette Nouvelle Année, avoir apporté aux lecteurs éventuels de cette histoire, la petite part de rêve qui permet parfois d'oublier temporairement une réalité bien austère.
BONNE ANNEE
oooOOOooo
Les photos de tableaux anciens qui figurent dans cet article ont été prises au Musée de la Marine à Paris. Les photos d'oiseaux l'ont été dans l'ilôt bien nommé de Bird Island aux Seychelles.
Dans la vraie vie, s'il n'échoua pas sur une île déserte et s'il ne parvint sans doute jamais à parler aux oiseaux, George Thomas Staunton n'en a pas moins vécu un grand et beau roman d'aventures. Il embarqua effectivement comme mousse en 1792 sur un navire en partance pour la Chine, Durant l'interminable traversée, il se familiarisa avec la langue et l'écriture chinoise auprès de deux prêtres interprètes qui étaient du voyage. A son arrivée dans l'Empire du Milieu, il devint le page de l'ambassadeur anglais auprès de l'empereur de Chine. Remarqué par ce dernier pour sa maîtrise de la langue chinoise, il reçut récompenses et distinctions. Devenu à l'âge adulte directeur de la représentation de l'East India Company à Canton, il entra au Parlement britannique à son retour en Angleterre, fut nommé Pair du Royaume et devint co-fondateur de la Royal Asiatic Society.
Son portrait, enfant, par Thomas Hickey, faisait partie, lorsque je l'ai découvert, de la collection d'une galerie d'art londonienne.